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Andreaw Gravillon entre les lignes

23 février 2022

AG6

Un joueur authentique au parcours de vie atypique. Alors qu’il vient tout juste de souffler sa 24ème bougie, l’athlétique défenseur central des Rouge et Blanc a vu son option d’achat levée par le Stade de Reims lors du dernier mercato hivernal. Rémois jusqu’en 2025, Andreaw Gravillon revient sur les étapes majeures de sa jeune carrière.

Alors que la Coupe du Monde de football se profile en métropole, Andreaw voit le jour à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 8 février 1998. Il est encore trop jeune lorsque Zidane et sa bande soulèvent le trophée quelques mois plus tard, mais c’est son père, avec qui il entretient une relation fusionnelle, qui lui racontera la folle épopée des Bleus. C’est à l’âge de 4 ans qu’Andreaw, fraîchement débarqué dans la capitale, tape pour la première fois dans le ballon rond : « J’ai commencé au poste d’attaquant dans le club d’Aubervilliers. Comme tous les gamins, l’objectif c’était de marquer des buts : juste marquer ». Un objectif qu’il continue d’accomplir par la suite au FC Thiais, en Guadeloupe (lors d’un bref retour de deux années sur l’île) et à l’US Créteil. Mais, en 2010, c’est dans la banlieue parisienne que la carrière du jeune homme va prendre une autre dimension.

Le sport comme exutoire

Insatiable buteur, Andreaw va découvrir un tout nouveau poste lors de son arrivée à l’ASM Gargeoise : « J’arrive dans un club où beaucoup de jeunes pratiquent le football. Le sport, c’était la seule manière de ne pas traîner dans la rue ». La concurrence est rude et il évolue dans un premier temps en équipe 2. Déjà grand compétiteur, Andreaw va saisir une opportunité pour intégrer l’équipe 1. « Pour un match face à Louvres, l’entraîneur me demande si je peux venir dépanner en défense. Ce n’est pas mon poste et il le sait […] mais j’aime trop le ballon, j’ai accepté ». Défi accepté et relevé pour le jeune guadeloupéen qui impressionne lors de cette rencontre au point d'être un candidat crédible à la place de titulaire.

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Amoureux du ballon rond, Andreaw va pourtant lui être infidèle. Curieux, il s’essaye au handball. Pendant plusieurs années, Andreaw, alors devenu adolescent, va jongler entre les deux sports et parvient à assurer trois entraînements de football, trois entraînements de handball et deux matchs par semaine. Un emploi du temps sportif chargé auquel vient s’ajouter sa scolarité. « À cette époque, je n’étais pas un grand travailleur, il faut l'avouer le collège ce n’était pas trop mon truc. Mais la seule solution pour que mes parents ne me privent pas de sport, c’était de bosser à l’école ». Physiquement, Andreaw suit la cadence : « Le handball m’a permis de travailler ma réactivité et mes appuis. En fait, les deux sports étaient plutôt compatibles : ce que j’apprenais au football je m’en servais sur le parquet et inversement ». Balle à la main, il acquiert, en très peu de temps, un tel niveau qu'il commence à s'entraîner avec les U17 régionaux de l'équipe de France à Sannois-Saint-Gratien. « À un certain moment, je pensais vraiment arrêter le football pour le handball ». Mais son entraîneur de l’époque, Medhi Mattaoui, voit en lui plus de qualités de footballeur et le convainc de se focaliser sur un seul sport : « Il aimait le sport. Il voulait être partout, tout le temps. On s’est dit qu’il avait le talent pour jouer au football. On lui a donc conseillé de mettre toute son énergie sur le gazon ». À 15 ans, Andreaw poursuit ses études en bac pro Accompagnement, Soins et Services à la Personne. Il aimerait devenir infirmier pour « suivre les traces » de sa maman. Sur le terrain tout se passe pour le mieux et l’ASM Gargeoise remporte notamment la coupe du Val d’Oise avec un Andreaw Gravillon performant … en défense.

Benvenuto in Italia "

Après une saison aboutie, Andreaw est convié à une détection organisée par l’Inter Milan à Blanc-Mesnil. Une détection qui réunit près de 70 joueurs venus des quatre coins de la France. Tous ont le même objectif : intégrer le prestigieux club milanais 18 fois champion d’Italie. « Ce jour-là, je me suis dit que si je me donnais à 100%, j’avais peut-être une chance de partir en Italie. C’était une chance minime, mais il fallait que j’essaye ». Comme depuis ses débuts à Aubervilliers, c’est son père, Pierre-Ange Gravillon, qui le conduit à la détection : « Sur la route de Blanc-Mesnil je lui ai dit : ‘’La seule chose que tu as à faire c’est de compter le nombre d’erreurs que tu fais. Si tu en fais plus de 3, c’est fichu’’ ». Le soir même, Mohamed Chacha, entraîneur des jeunes de l’Inter Milan, entre en contact avec la famille Gravillon.

Après deux allers-retours en Italie et des essais concluants, Andreaw rejoint l’Inter Milan à l’été 2014 à seulement 16 ans. « Dans ma tête ce n’est pas trop compliqué de partir. J’ai mes amis et ma famille en France, mais je sais qu’ils seront toujours là à mon retour. Je veux vivre du foot et je pars donc seul ». Le club italien accueille le jeune guadeloupéen et l’intègre avec les U17 mais le rêve ne se passe pas comme prévu. Alors que sa licence n’est pas homologuée, Andreaw est contraint de passer les six premiers mois de la saison loin des terrains. Il s’entraine la semaine et regarde, depuis la tribune, les matchs de ses coéquipiers le week-end. « C’était une période compliquée. Rapidement je craque et j’appelle Medhi en lui disant que je veux rentrer. Heureusement, ils (son père et ses entraîneurs de l'ASM Gargeoise) ont trouvé les bons mots pour me soutenir et me pousser à continuer mon aventure ». Livré à lui-même dans un pays qu’il ne connait pas, Andreaw apprend à devenir un homme et s’imprègne de la culture italienne : lui qui avouait préférer le dernier rang, suit finalement avec assiduité les cours d’italien. Au terme d’une seconde partie de saison où il retrouve les pelouses et la compétition avec les jeunes de l’Inter Milan, Andreaw s’impose et monte d’un échelon et rejoint l’effectif de la Primavera.

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Au centre d’entraînement, Andreaw croise chaque jour des joueurs internationaux comme Handanovic, Brozovic ou Perisic. Des joueurs qui évoluent sous la houlette de Roberto Mancini. Il ne le savait pas encore, mais quelques semaines plus tard, c’est aux côtés de ces mêmes joueurs qu’il jouerait son premier match avec l’équipe première. « Un jour de novembre, je reçois un message WhatsApp où il est inscrit ‘’Groupe DOHA’’ ». Alors qu’il n’a pas encore 18 ans, Andreaw est convoqué par l’entraîneur italien pour un stage de préparation au Qatar ! Stage durant lequel l’Inter Milan rencontrera le Paris Saint-Germain et le Milan AC. « J’ai tout de suite appelé mon père pour le prévenir. C’était incroyable ce qu’il se passait, je n’arrivais pas à y croire ». Pourtant, ce message est bien réel. Andreaw s’envole pour le Qatar au mois de décembre 2015. À 6000 kms de là, son père, Pierre-Ange Gravillon n’en revient pas : « J’ai pleuré de joie quand je l’ai eu au téléphone. C’était une chance incroyable pour lui. Il avait fait tellement de sacrifices […] c’était une juste récompense ».
Remplaçant et spectateur lors de la première rencontre du tournoi, Andreaw Gravillon en prend plein les yeux et profite de chaque instant. Lors du second match, contre le Paris Saint-Germain, le défenseur des Nerazzurri prend place sur le banc de touche. Alors qu’il reste vingt minutes de jeu Andreaw n’est toujours pas appelé pour entrer et perd espoir. « À ce moment-là, tout le monde rentre sauf moi ». Ce n’est qu’à la 83ème minute que le tacticien italien fait appel aux services du jeune guadeloupéen. « J’entends crier ‘’ANDREAW’’ ! Je me retourne, je vois qu’on me fait des grands gestes pour que je me prépare. Au moment d’entrer sur la pelouse, j’ai les jambes qui flageolent. Dans ma tête je suis en plein rêve. Je suis tellement excité qu’au bout d'une minute je prend un jaune. C’était une première incroyable. Tu te retrouves à jouer contre de grands joueurs internationaux alors que je ne suis pas encore majeur. J’en garderai un merveilleux souvenir ».

Entre première et deuxième division

Après avoir vécu un rêve éveillé à Doha, Andreaw s’impose en charnière centrale en U19 et remporte notamment la Primavera 2016-2017 en compagnie de Christian Kouamé et Andrea Pinamonti. Il confirme lors de la saison suivante et s’ouvre les portes du monde professionnel : Benevento s’offre les services d’Andreaw à l’été 2017. « C’est un club qui monte en Série A et j’y vais pour parfaire ma formation intériste ». Malheureusement le club enchaîne les contre-performances et Andreaw ne dispute que deux matchs en six mois sous le maillot du promu. Reculer pour mieux sauter ! En janvier 2018, le natif de Pointe-à-Pitre rejoint Pescara club de Série B. « Après discussion avec mon père et ma famille, tout le monde était d’accord pour dire que ce n’était pas grave de redescendre d’un échelon pour gagner en temps de jeu et revenir plus fort. L’idée était d’acquérir de l’expérience avant de sauter dans le grand bain ». Sur cette deuxième partie de saison, il prend part à neuf rencontres. Grâce à de belles prestations en Série B, l’Inter Milan revient à la charge et propose un nouveau contrat au grand défenseur central français. En janvier 2019, le club italien annonce avoir trouvé un accord avec le joueur et le laisse en prêt du côté de Pescara. Il réalise alors une saison pleine sous les ordres de Giuseppe Pillon, débutant 28 rencontres.

En dehors des terrains, Andreaw s’est relativement bien acclimaté à son nouveau quotidien et se sent bien de l’autre côté des Alpes : « Je suis arrivé très jeune en Italie. J’ai appris à me débrouiller tout seul, à être autonome. Je me suis fait de nombreux amis avec qui je pouvais partager d’excellents moments après les entraînements ».

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Andreaw effectue son retour dans l’élite du championnat italien sous de nouvelles couleurs : l’Inter Milan le prête à Sassuolo mais après un seul match en Coupe d’Italie, le coach lui fait comprendre qu’il sera remplaçant cette saison. « C’est un coup de massue que je prends derrière la tête. C’est la première fois de toute ma carrière que je doute ». Face à cette situation, il rebrousse chemin et demande à quitter le club. C’est là qu’Ascoli, club de Série B, se présente. « Dans la vie, il y a des trains qui ne passent qu’une fois. Je sais d’où je viens, je sais que ce n’est pas facile de devenir professionnel alors je signe ». Dans la région des Marches, non loin de la mer Adriatique, le gamin de Garges réalise une seconde saison pleine en deuxième division italienne et comptabilise 28 titularisations en championnat.

À la recherche de stabilité

Nous sommes en 2020 et le Monde fait face à une épidémie sans précédent. Cela fait six ans qu’Andreaw, loin de sa famille, roule sa bosse en Italie. Alors que le championnat est arrêté, le jeune homme en profite pour rentrer se ressourcer en famille. « Cette coupure m’a permis de retrouver ma famille. C’est un moment qui m’a fait énormément de bien ». Toujours en contact avec ses entraîneurs de l’ASM Gargeoise, Andreaw garde la forme à la salle de sport du club de Sarcelles. « Je suis quelqu’un de professionnel. Je savais que la saison pouvait reprendre à tout moment. J’ai travaillé sans relâche pour être au top de ma forme et répondre présent sur le terrain ». À cette époque, Andreaw appartient toujours à l’Inter de Milan mais le jeune homme a des envies d’ailleurs. Alors quand le FC Lorient frappe à la porte du guadeloupéen, la décision est rapidement prise. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, Andreaw et sa compagne annoncent qu’ils vont devenir parents en 2021. Un bonheur que partage son père, Pierre-Ange : « Ça c’est une bonne chose ! Cette paternité lui a offert de nouvelles responsabilités et il a gagné en maturité, en calme ».

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Andreaw rejoint donc le Morbihan et enfile le maillot des Merlus pour la première fois le 17 octobre 2020 lors de la 7ème journée de championnat de Ligue 1 face à … Reims. L’athlétique défenseur central redore le blason du FC Lorient et impose son style avec rigueur. Christophe Pélissier, son entraîneur de l’époque, souligne ses qualités et sa capacité à être très fort sur les premiers appuis. Un départ satisfaisant pour Andreaw qui, devant sa famille, retrouve le plaisir de jouer au football : « Jouer en France, devant ma famille et mes amis, c’était une force supplémentaire pour moi. J’avais envie de me surpasser pour les rendre fiers ». Épanoui, ses prestations sur le terrain sont remarquables. Le 27 janvier 2021, lors d’un match capital pour le maintien face à Dijon, Andreaw offre la victoire aux siens d’un coup de tête rageur dans les arrêts de jeu. La journée suivante, c’est l’ogre parisien qui fait les frais de cette ascension fulgurante. Titularisé dans une défense à trois, le Pointois multiplie les dégagements défensifs et les interceptions devant Kylian Mbappé. Au terme de la saison, le FC Lorient se maintient et Andreaw, toujours sous contrat avec l’Inter Milan, quitte le club.

À 23 ans, Andreaw est bien décidé à poser ses bagages en France : « Retrouver ma famille, ma femme et mes amis, cela m’a donné envie de continuer en France pour rester auprès d’eux. Je voulais me stabiliser, m’ancrer dans un projet sportif sur la durée ». Alors âgé de 23 ans, il tente de conjuguer vie de sportif de haut niveau et celle de jeune père à plein temps. « Devenir papa, ça ne s’apprend pas. Il n’y a pas de formation pour ça. Je suis passé d’un adolescent de 22 ans à un jeune homme de 23 ans d’un seul coup. Bon, les premiers mois tu ne dors pas beaucoup, mais c’est merveilleux. Sur le terrain j’étais devenu un autre homme, j’étais plus calme, plus sérieux ». Épanoui dans son nouveau rôle de père, Andreaw décide à l’été 2021 de s’épanouir aussi sur le terrain et rejoint la Champagne « Quand le Stade de Reims m’a approché, ça a tout de suite ‘’matché’’. Je voulais faire partie d’un vrai projet sportif dans lequel l’entraîneur me faisait comprendre que j’étais important ». 

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Le 13 juillet 2021, le défenseur central signe son contrat (avec option d’achat) en faveur du SDR. Plus tard il avouera que le cadre de vie favorable avec notamment la proximité de sa famille mais aussi les infrastructures modernes du Centre de Vie Raymond Kopa, ont énormément compté dans sa décision. Dans un vestiaire jeune, Andreaw s’acclimate rapidement et se tient prêt à revêtir la tunique des Rouge et Blanc. « J’arrive dans un groupe plein de vie. Il y a beaucoup de jeunes très talentueux et il y aussi des anciens qui sont là pour les encadrer. On travaille dur pour la reprise de la saison mais toujours dans une atmosphère agréable. Je comprends vite que le terme ‘’Maison de football’’ qui est inscrit à l’entrée du centre d’entraînement, n’est pas là par hasard : j’ai trouvé ma deuxième maison en arrivant ici ».
Avec Yunis Abdelhamid et Wout Faes, Andreaw est le troisième élément défensif de l’équipe d’Oscar Garcia. Il enchaîne les titularisations et s’impose comme un cadre de l’équipe. Lors de la 19ème journée de Ligue 1 Uber Eats qui voit s’affronter l’Olympique de Marseille et le Stade de Reims, le numéro 6 Stadiste participe à sa 17e rencontre avec le maillot Rouge et Blanc sur les épaules : un cap qui lève automatiquement son option d’achat. « À Marseille, j’étais comme un gamin. Je savais que ce match me permettrait d’enfin signer un contrat à long terme. C’était un rêve qui devenait enfin réalité ». Et comme depuis le début de sa carrière, c’est avec son père qu’Andreaw partage cette joie : « Je me souviens de son appel. J’avais regardé le match et je lui ai dit ‘’C’est une première bataille de gagnée. Maintenant, il faut que tu continues à travailler. Parce qu’il n'y a que le travail qui compte’’. Je voulais lui faire comprendre que ce n’était pas terminé. Mais j’étais fier de lui ».

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Le temps d’une photo, Andreaw Gravillon a délaissé son numéro 6 pour le 2025. Un chiffre qui lui a donné des idées : « Mon souhait avec le Stade de Reims ? Terminer dans la première partie de tableau et découvrir l’Europe avec mes coéquipiers ! Ce serait une juste récompense pour tout le groupe ».